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Le préjudice professionnel d’un enfant ne doit pas être indemnisé au rabais

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La décision a fait du bruit chez les assureurs. Le 9 septembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’Appel de Poitiers qui revalorisait fortement le préjudice d’une victime d’accident de la circulation.

Voici les faits. En 2011 une enfant de 10 ans subit un grave traumatisme crânien dans un accident avec une voiture. La conductrice est reconnue coupable de blessures involontaires, condamnée à une peine d’emprisonnement avec sursis, amendes et suspension du permis. Et elle doit avec son assureur indemniser la jeune victime.

L’expert qui examine l’enfant note que ses capacités cognitives sont intactes mais qu’elle risque d’être gênée par la fatigabilité et la lenteur due au traumatisme crânien. Il réserve donc son appréciation du préjudice professionnel en attendant la fin des études.

 

Une indemnisation dix fois supérieure à celle obtenue en première instance

Des années plus tard, le tribunal fixe l’indemnisation totale de la victime à la somme de 298.857 euros. Cette dernière fait appel. Et la Cour d’appel de Poitiers condamne l’automobiliste responsable et son assureur à payer à la victime la somme de 2.130.818 euros. Dix fois le montant des indemnités fixées en première instance !

Que s’est-il passé ? Le juge d’appel a constaté que la victime avait échoué dans toutes ses études pour devenir diététicienne.  Il a constaté que, selon des examens récents, la jeune fille était incapable de se concentrer plus de deux heures par jour.  Il a relié ces échecs et cet état aux observations initiales de l’expert de l’expert sur les séquelles du traumatisme crânien. Et la cour a conclu à « une incapacité avérée d’exercer une activité professionnelle correspondant à celle qu’elle aurait dû normalement exercer ».

Pour chiffrer la perte de gains professionnels, le juge d’appel a pris un revenu mensuel de 2.000 euros, correspondant à la rémunération nette moyenne d’une diététicienne. Résultat après capitalisation : 1.522.104 euros. Et pour faire bonne mesure la cour d’appel a rajouté 100.000 euros pour indemniser la dévalorisation sociale d’une victime qui se retrouve incapable de s’insérer dans la vie socio-professionnelle.

 

Les pertes de gains futurs d’un enfant de dix ans ne sont pas hypothétiques

A la lecture de l’arrêt d’appel, les assureurs s’étranglent. Pour eux, le préjudice professionnel d’un enfant de 10 ans au moment de l’accident ne peut être qu’une perte de chance. Et ils soutiennent, en cassation, que vouloir devenir diététicienne ne peut pas être assimilé au fait d’être une diététicienne. On ne peut pas raisonnablement calculer la perte de gains futurs comme si la victime avait réussi ses études : il faut réduire l’indemnisation par un coefficient d’incertitude. Et on ne peut pas déduire de l’échec de ses études, une totale impossibilité de travailler

La Cour de cassation balaie aujourd’hui ce beau raisonnement. Elle dit que le juge a parfaitement tiré les conclusions de ses constatations et qu’il a exercé « son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de preuve débattus contradictoirement ». L’accident subi dans la dixième année prive bien la victime de « toute possibilité d’exercer une activité professionnelle ».

 

Une décision importante pour les victimes d’un traumatisme crânien

Les assureurs ont perdu la bataille et cette défaite est importante pour toutes les jeunes victimes qui doivent se débattre avec un avenir brisé. La juridiction suprême a affirmé que le préjudice professionnel subi par un enfant âgé de dix ans au moment de l’accident n’était pas hypothétique. Et même si on veut le qualifier de perte chance, c’est un préjudice qu’on ne peut, en aucune façon, minimiser.

Il n’y a pas d’incertitude sur les études qu’a menées la victime pour tenter de réaliser son projet professionnel. Il n’y a pas d’incertitude dans le lien entre les séquelles de l’accident et l’échec de ces études. Il n’y a donc aucune incertitude sur son préjudice. Et aucune raison d’invoquer une incertitude pour le réduire.

En confirmant la conclusion du juge d’appel, la Cour de cassation a montré que la réparation des préjudices d’un enfant de dix ans ne peut pas être une réparation au rabais. Cette manœuvre fréquente des assureurs peut être désormais efficacement combattue. Et les victimes ont tout intérêt, pour défendre leurs droits, à se rapprocher d’un avocat spécialisé.

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